Abu Hanifa et son école

Introduction à l’école de jurisprudence Hanafite :

Le Fiqh Hanafite est le plus ancien des fiqh parmi ceux des quatre écoles de droit sunnite. Les premières règles et questions de fiqh ont donc d’abord été compilées pour l’école de l’Imam Abu Hanifa. L’école Hanafite est la plus répandue et la plus suivie par les musulmans à travers le monde. C’est l’école majoritaire dans le sous continent indien (Pakistan, Inde, Bangladesh), en Afghanistan, en Turquie (et dans tous les territoires occidentaux de l’ancien empire Ottoman), dans les ex-pays de l’URSS (Kazakhstan, Ouzbékistan, Turkménistan, Kirghizistan, Tadjikistan) ainsi qu’en Russie, au Turkestan Oriental et en Chine. On la retrouve également en Syrie, en Irak, en Jordanie, au Liban et en Egypte. La méthodologie de cette école est celle de l’Imam Al-A’dham (le plus grand des imams) Abu Hanifa (qu’Allah soit satisfait de lui), c’est pourquoi elle est appelée l’école « Hanafite ». Le Madhab (école) est né à Koûfa en Irak, la ville fondée par le chef des croyants le Compagnon ‘Umar Ibn al-Khattab (qu’Allah soit satisfait de lui).

Ce Fiqh est à l’origine basé sur les opinions, les fatwas, les jugements et la méthodologie de grands compagnons tel que Abd Allah Ibn Mas’oud , ‘Umar ibn al-Khattâb et ‘Ali Ibn Abi Talib (qu’Allah soit satisfait d’eux). Cette méthodologie sera transmise à Abu Hanifa par son maître Hammad Ibn Abi Suleyman (d. 120H), élève d’Ibrahim Ibn Yazid An Nakha’i (d. 96H), lui même formé dans le droit par ‘Alqama Ibn Qays (d. 62H), l’élève de très grands compagnons et le représentant du fiqh de Abd Allah Ibn Mas’oud. L’Imam Muhammad Ibn Al Hassan Ash-Shaybani, le célèbre disciple de l’Imam Abu Hanifa, enregistrera le fiqh d’Abu Hanifa et celui-ci sera ensuite diffusé et transmis par quarante des plus proches élèves et amis de l’Imam Abu Hanifa. L’Imam Abu Yusuf, l’autre célèbre disciple de l’Imam Abu Hanifa, a également joué un rôle de premier plan dans la compilation et la diffusion du Fiqh Hanafite.

« Le Fiqh a été planté par Ibn Mas’ud, arrosé par ‘Alqama, récolté par Ibrahim an-Nakha’i, broyé par Hammad, moulu par Abu Hanifa, pétri par Abu Yusuf et fait en pain par Muhammad ash-Shaybani. C’est ainsi, que tous les gens mangent de son pain aujourdhui. »

ad-Durr al-Mukhtar fi Sharhi Tanwîr al-Absâr de l’imam al-Haskafî

L’Imam Abu Hanifa :

L’Imam Abu Hanifa, de son nom complet an-Nu’man ibn Thabit, d’origine Perse, naquit en 80 H (ou 70 H) à Koûfa et mourut en 150 H. Il a la particularité d’être né dans le siècle du Prophète ﷺ. Il est de loin l’un des plus grands savants de l’histoire, d’où son surnom « le plus grand imam » (Al-Imam Al-A’zham). C’est un tabi’i (génération qui suit celle des compagnons), qui a rencontré des compagnons. Aux premiers temps de sa vie, Abu Hanifa se destinait au commerce comme son père mais il décida de se consacrer à la science après sa rencontre avec `Âmir Ash-Sha`bî, un savant du hadith de Koûfa ayant repéré en lui un fort potentiel et une intelligence rare.

Notre Imam Abu Hanifa a eu plus de 4000 professeurs ! Ses voyages fréquents vers les lieux saints de La Mecque et Medine lui ont permis d’apprendre auprès des plus grands maîtres de son époque, mais c’est dans sa ville à Koûfa, auprès de son maître Hammad Ibn Abi Suleyman, qu’il hérita du fiqh de Koûfa. En plus d’avoir eu l’immense honneur d’apprendre de certains savants des gens de la maison du Prophète ﷺ, Abu Hanifa est également l’héritier du savoir des compagnons Abd Allah Ibn Mas’ud, ‘Umar ibn al-Khattâb, ‘Ali Ibn Abi Talib, et d’autres (qu’Allah soit satisfait d’eux).

Beaucoup de ses shuyukh étaient aussi des Tabi’un comme ‘Amir Ash-Sha’bi (qui a rencontré 50 compagnons), Simak Ibn Harb (qui a rencontré 80 compagnons), Abu Ishaq as-Sabi’i (qui a rencontré 38 compagnons), Ta’us ibn Kaysân (qui a rencontré 50 compagnons), Ibn Shihab Az-Zuhri (qui a appris auprès d’un très grand nombre de compagnons), Rabi’ ibn Abi Abdar-Rahman, Nafi’, Muhammad Al-Baqir, Qatadah, Hisham Ibn ‘Urwa et Yahya Ibn Sa’id al-Ansari et d’autres (qu’Allah soit satisfait d’eux). 

« J’ai reçu la jurisprudence de ‘Umar, celle de ‘Ali, celle de ‘Abd Allah Ibn Mas’oud et celle d’Ibn ‘Abbas de la part de leurs compagnons ».

L’imam Abu Hanifa

Il apprendra la science du hadith auprès des plus grands maîtres de son temps, et ce dans diverses régions du monde musulman. Il rencontrera également l’Imam Malik à Médine, et ils profiteront de cette rencontre pour bénéficier l’un de l’autre.

Après la mort de Hammad, tous ses élèves insistèrent et désignèrent Abu Hanifa pour lui succéder, il était en effet le plus habile pour remplacer Hammad. Le cercle de science d’Abu Hanifa avait les méthodes de déduction de ‘Umar Ibn Al Khattab, les traditions et les fatwas de Abd Allah Ibn Mas’oud, les décisions et les pensées de Ali et les traditions des savants du Hadith de Koûfa. L’Imam Abu Hanifa avait une intelligence rare et une faculté de compréhension très impressionnante, ce qui lui permettait d’avoir une vision large dans les sujets de fiqh et d’étudier les textes en profondeur.  Il était un pieux craignant Allah Ta’ala, ayant le soucis de la justice et de la vérité. Il était prospère et dépensait sa fortune dans la voie d’Allah. Il était également célèbre pour son honnêteté et sa crainte d’Allah Ta’ala dans les transactions commerciales qu’il réalisait. En raison de son immense savoir et de ses nobles vertus, son cercle de science devint célèbre et les gens en quête de science venaient de loin pour assister à ses cours.

L’Imam Abu Hanifa vit se succéder deux états : celui des Omeyyades et celui des Abbassides. Il fut très critique envers les Omeyyades à cause de leurs injustices et particulièrement celle qu’ils opéraient face aux descendants du Prophète ﷺ. Il fut heureux de la fondation du califat Abbasside au début mais il remarqua très vite que les injustices continuaient, c’est pourquoi il continua à être critique envers le pouvoir en place et il est même rapporté qu’il apporta son soutien à certaines tentatives de descendants de sayyidunâ ‘Ali (financièrement et moralement) dans leur révolte contre le pouvoir en place durant ces deux dynasties. Lorsque le califat Abbasside fut créé, le calife Al-Mansour força Abu Hanifa à devenir qadi (juge) et ce notamment afin de tester la loyauté d’Abu Hanifa envers lui. Notre noble Imam refusa et fut torturé puis mis en prison. Il continua à enseigner alors qu’il était en prison tout en subissant des tortures durant sa détention. Il finit par sortir de prison et décéda en 150 H (selon certains savants, il décéda durant sa détention) et il sera enterré dans le cimetière de Khaizuran à Bagdad en Irak. Il était alors âgé de soixante-dix ans.

Méthodes et caractéristiques :

Le Fiqh de l’Imam Abu Hanifa a la particularité d’avoir été formé collectivement. ‘Umar Ibn Al Khattab fit construire la ville de Koûfa en Irak et envoya Abd Allah Ibn Mas’oud comme enseignant avec les mots suivants : « Ô gens de Koûfa ! Je vous ai préféré à moi-même en vous envoyant Ibn Mas’oud. » Par la suite, beaucoup de compagnons partirent vivre à Koûfa. Sayyidunâ ‘Ali (qu’Allah soit satisfait de lui), le quatrième calife de l’islam, fera même de Koûfa sa capitale. Plus tard, cette ville deviendra un haut lieu du savoir avec les villes de la Mecque et de Médine dans le Hadith et les sciences islamiques. Néanmoins, la construction de cette nouvelle ville attira beaucoup de monde dont des peuples qui y apportèrent des idées nouvelles comme les philosophies grecques et perses. Ce mélange de cultures et de traditions donnèrent naissance à beaucoup de sectes et de tendances nouvelles tant sur le plan dogmatique que jurisprudentiel. Certains habitants de Koûfa étaient impliqués dans l’invention de faux Hadith. Chaque secte inventait des Hadith afin de soutenir sa position. Le Hedjaz était à l’abri des troubles que l’on voyait à Koûfa, c’est pourquoi Abu Hanifa était très strict dans l’authentification des hadiths car il craignait d’attribuer de fausses paroles au Prophète ﷺ.

La méthodologie de ‘Umar Ibn Al Khattab que l’on verra plus bas, se répandra en Irak à travers Abd Allah Ibn Mas’oud et ‘Ali. Plusieurs versets du Coran ont d’ailleurs été révélés pour confirmer les avis de ‘Umar, ce qui montre sa capacité de déduction. Durant son califat, ‘Umar empêchait les compagnons de sortir de Médine. Il forma deux groupes parmi eux, et consultait un petit groupe composé des premiers compagnons dans des cas spéciaux. Au moindre problème important il rassemblait tous les compagnons pour les consulter. Sa méthodologie était telle qu’il délibérait dans la profondeur du Coran et des Hadith, gardait les objectifs de la Charia (Loi) et les intérêts des musulmans en tête, il observait les causes et les contextes et arrivait à une conclusion par décision collective. C’est cette méthodologie qui fut reprise à Koûfa par Ibn Mas’oud et ses disciples (Ibrahim an-Nakha’i et ‘Alqamah Ibn Qays). Ils étaient très stricts dans leur manière d’authentifier les hadiths. En effet, ils préféraient attribuer des hadiths à un compagnon ou un tabi’i de peur d’attribuer de fausses paroles au Prophète ﷺ . Enfin, ils appliquaient leur raisonnement et émettaient leurs fatwas. Cette méthodologie sera transmise à Hammad, qui la transmettra à son tour à Abu Hanifa et elle deviendra ainsi la méthodologie de l’école Hanafite.

Compilation du Fiqh Hanafite :

Lorsque l’Imam Abu Hanifa forma sa jurisprudence, il sélectionna une quarantaine de personnes parmi ses élèves pour la compiler. Ils étaient des experts en exégèse coranique, hadith, langue Arabe, littérature, logique, analogie, histoire, mathématiques et plusieurs autres disciplines, Abu Hanifa lui même ayant une expérience dans le commerce. Ils commencèrent cette noble mission de compiler le Fiqh. Cette compilation s’est faite de la manière suivante : une question était présentée devant le comité et chaque membre exprimait son point de vue sur la question. Parfois, une discussion sur une seule question pouvait prendre un mois complet. Quand une décision était prise, elle était compilée. Les questions étaient examinées à la lumière du Coran et des Hadith. S’ils ne trouvaient aucune preuve dans le livre d’Allah et dans la Sunna de son Messager ﷺ , ils se tournaient vers les paroles des compagnons. Et si malgré cela ils ne trouvaient toujours pas de réponses alors ils avaient recours à l’analogie (qiyas). Les conclusions de cette assemblée furent donc compilées du chapitre de la prière à celui de l’héritage en passant par les relations. Ainsi, on rapporte que 500 000 questions de fiqh ont été compilées et 38 000 d’entre elles étaient des questions liées à la prière.

Méthode d’ijtihad :

« Je prends le Livre d’Allah lorsqu’il contient la réponse, sinon, je prends la Sunna du Messager d’Allah, paix et bénédiction d’Allah sur lui, si je ne trouve pas dans la Sunna, je prends l’opinion de ceux que je veux parmi ses compagnons, et je laisse celles de qui je veux, je ne laisse leur opinion au profit de celle d’autres personnes, et lorsque l’on en vient à l’opinion d’Ibrahim, Ash-Sha`bi, Ibn Sirin ou Sa`id Ibn Al-Musayyab, alors je recours à l’Ijtihad comme ils l’ont fait. »

L’imam Abu Hanifa

Remarque : Il est malheureux d’entendre de la bouche de certains ignorants qu’Abu Hanifa serait faible dans le hadith, qu’il favoriserait le qiyas (raisonnement) sur le hadith ou encore carrément qu’il ignorait les hadiths et que c’est la raison qui expliquerait son recours fréquent au qiyas. Ceci est faux, en réalité Abu Hanifa était très strict dans ses conditions d’authentifications des hadiths pour les raisons que nous avons évoquées, il n’acceptait un hadith qu’après s’être assuré de sa viabilité, moyennant une étude minutieuse.

Ô Allah, répand Ta Miséricorde et Tes Bénédictions sur l’Imam Abu Hanifa et ses disciples.

Allahumma Amin.