Les écoles de Tawhîd et les sectes

Ahlu’s-Sunna wa’l-Jamâ‘a (Les Gens de la Sunna et du Groupe)

Ce n’est pas le nom d’un groupe apparu mais le nom du tronc, de la voie médiane, de la masse de la Umma.

Ils se caractérisent par la soumission au Qur’ân, à la Sunna et au consensus et par le respect envers les Sahâba (compagnons du Prophète).

Ils donnent une place à la raison pure dans la compréhension des textes mais ne déforment pas les textes pour les faire correspondre à des théories rationnelles, comme le font les Mutazilites.

La méthode des Salaf (≈ les 3 premiers siècles) :

Pas beaucoup de détails, pas de dialectique mais préfèrent répondre aux gens égarés par des versets et des hadiths, un discours plus « spirituel ». Beaucoup critiquent la méthode dialectique car utilisée principalement par les Mutazilites.

Position générale des Salaf sur les attributs d’Allâh cités dans le Qur’ân et la Sunna : lire et se taire tout en exemptant Allâh des attributs des créatures.

Il y a quelques livres écrits dans cette période pour répondre aux gens de la bid‘a mais cela reste modeste mais suffisant pour les gens de l’époque. Le summum de ce qui fut écrit à la fin de cette époque : le traité de ‘Aqida de l’imam at-Tahâwî (321).

La méthode des Khalaf (≈ après les 3 premiers siècles) :

Raisons du besoin de recourir à la méthode dialectique et à l’argumentation rationnelle : rencontres avec les cultures grecques, perses et indiennes, traduction des ouvrages de philosophie et de logique, introduction de nouvelles terminologies dans les sciences islamiques, changement des méthodes d’attaque de la croyance de l’Islam etc.

C’était d’abord les Mutazilites qui répondaient aux attaques des autres religions, des philosophes etc. Mais ils ne réussirent pas à garder le bon équilibre lors du maniement des textes et de la raison, raison pour laquelle ils s’égarèrent des textes et furent influencés par les théories philosophiques de l’époque.

Il est donc apparu un besoin primordial d’utiliser la méthode dialectique et l’argumentation rationnelle pour à la fois répondre aux Mutazilites, aux autres sectes ainsi qu’aux ennemis de la croyance musulmane. Mais ceci fut fait en apprivoisant la terminologie du Kalâm et en la rendant compatible avec la croyance de Ahl as-Sunna.

Les premiers savants qui ont commencé à utiliser cette méthode vivaient déjà aux IIIème siècle de l’hégire. Ex : al-Hârith al-Muhâsibî (243), Ibn Kullâb (≈ 240), al-Qalânisî etc… Ils ont essayé de dialectiser la méthode des Salaf sur certains points pour répondre aux Mutazilites et autres. Mais les véritables pionniers de cette méthode sont les deux imams Abû Mansûr al-Mâturîdî (333) en Transoxiane (mâ warâ an-nahr, Asie centrale) et Abu’l-Hasan al-Ash‘arî (324) en Irak. C’est grâce à eux que cette méthode se propagea et forma une grande école.

La méthode des Khalaf : Accepter les versets et les hadiths dont les sens sont clairs, accepter le consensus des compagnons et des savants mujtahidûn. Accepter les sujets extraordinaires mais qui sont rationnellement possible qui figurent dans les textes clairs. On peut dire que la raison chez les sunnites est un moyen de contrôle et non un élément déterminant.

Position générale des Khalaf sur les attributs d’Allâh cités dans le Qur’ân et la Sunna : sur les attributs ambigus, deux méthodes sont acceptées : soit suivre la méthode des Salaf si cela est possible, sinon interpréter les textes ambigus tout en restant en accord avec les règles de la langue arabe et les règles générales de la ‘Aqida.

Cette méthode est donc représentée par deux écoles : l’école Mâturîdite et l’école Ash‘arite, qui en vérité ne divergent que sur certains points de détails dans le crédo et non des points fondamentaux nécessitant la mécréance ou la bid‘a. Aussi, la plupart des divergences sont en vérité des divergences apparues au fil du temps et non au début de ces écoles.

Chaque école a eu de grands représentants dans la croyance :

  • Exemples pour l’école Ash‘arite : al-Bâqillânî (403), Ibn Fûrak (406), Abû Ishâq al-Isfarâyînî (418), al-Juwaynî (478), al-Ghazzâlî (505), al-Fakhr ar-Râzî (606), al-Âmidî (631), al-Baydâwî (685), as-Sanûsî (895) etc…
  • Exemples pour l’école Mâturîdite : al-Hakîm as-Samarqandî (342), Abu’l-Layth as-Samarqandî (373), Abu’l-Yusr al-Pazdawî (493), Abu’l-Mu‘în an-Nasafî (508), Abû Hafs an-Nasafî (537), ‘Alâu’d-Dîn as-Samarqandî (539), Nûru’d-Dîn as-Sâbûnî (580), Ibnu’l-Humâm (861), al-Bayâdî (1098) etc…

Présence de ces écoles : en règle générale les Hanafites sont Mâturîdîtes, les Mâlikites et les Shâfi‘îtes sont Ash‘arîtes, et les Hanbalites sont soient sur la méthode des Salaf soient en accord avec ces écoles.

Les Gens de la Bid‘a (les sectes égarées)

al-Khawârij : Les Kharijites

Ce groupe est né à la suite de la bataille de Siffîn et de l’histoire de l’arbitrage entre ‘Alî et Mu‘âwiya (qu’Allâh soit satisfait d’eux). La base de leur égarement est une mauvaise compréhension du Qur’ân dû à leur manque de science et de fiqh, car la plupart étaient des bédouins.

Principales croyances contraires au dogme sunnite :

  • Ils disent que celui qui commet un péché devient mécréant. Ils rendent aussi mécréant beaucoup de compagnons tels que ‘Uthmân, ‘Alî, ‘Âïcha, Mu‘âwiya etc…
  • Ils disent qu’il est obligatoire de se rebeller face au gouverneur injuste, même si l’on a aucune force.
  • Ils disent que les actes comme la Salât, la Zakât etc. font partie de la foi. Une personne ne peut donc pas être croyante seulement en croyant et en déclarant sa croyance, elle doit aussi œuvrer.
  • Leurs croyances n’étaient pas homogènes car chaque petit groupe pouvait avoir des idées différentes. Note : Ce terme est parfois utilisé pour désigner ceux qui se rebellent contre le dirigeant musulman et qui s’écartent de la masse des musulmans en faisant le takfîr (rendre mécréant) des autres.
ash-Shî’a : Les Chiites

Ce terme désignait avant tout les partisans de Sayyidunâ ‘Alî ibn Abi Talib (qu’Allâh soit satisfait de lui) dans les différents qu’il a vécu avec d’autres compagnons, dont les batailles de Jamal et Siffîn. Puis ce nom désigna par la suite ceux qui furent aux cotés de ‘Alî ibn Abi Talib face aux Kharijites qui sont allé jusqu’à l’assassiner (qu’Allâh soit satisfait de lui). Puis, un groupe parmi les partisans de ‘Alî commencèrent à exagérer dans leurs propos et leurs idées à son sujet et s’écartèrent ainsi des avis de la masse de la communauté, le tronc commun : Ahl as-Sunna.

Les Chiites se divisèrent en un très grand nombre de groupes différents, allant jusqu’à se jeter l’anathème les uns sur les autres. La principale raison de ces schismes était liée à la détermination de qui devait être le grand imam, dirigeant des croyants, car leur doctrine est principalement basée sur la notion de l’imam infaillible. On peut regrouper les différentes sectes chiites sous trois groupes principaux :

  1. Les Chiites extrémistes (Ghulât) : il s’agit de ceux qui attribuent à ‘Alî ibn Abi Talib des qualités surhumaines jusqu’à dire à son sujet qu’il est Dieu ou l’incarnation de Dieu ou encore qu’il était censé recevoir la révélation à la place du Prophète Muhammad ﷺ. Cette catégorie aux pensées extrêmes est composée de 15 sous-groupes.
  2. Les Contestataires, al-Rawâfid (pluriel de Râfidî) : ils furent appelés ainsi car ils contestèrent l’imamat (le califat) de Abû Bakr et ‘Umar (qu’Allâh Ta‘âlâ soit satisfait d’eux). Ils prétendent tous que le Prophète ﷺ aurait désigner Sayyidunâ ‘Alî comme son successeur ouvertement en donnant son nom et en faisant une annonce, et prétendent donc que la quasi-totalité des compagnons du Prophète ﷺ se sont égarés en ne suivant pas cet ordre prophétique. Ils disent aussi que ‘Alî (qu’Allâh Ta‘âlâ soit satisfait de lui) n’a pas pu faire valoir son droit car il s’est retrouvé en situation d’infériorité et qu’il est autorisé selon eux que l’imam prétende ne pas être légitime s’il fait cela par taqiyya (pour se protéger). Les extrémistes parmi les Râfidites excommunient tout simplement la totalité des compagnons du Prophète ﷺ sauf cinq.
    Les Chiites Imamites, qui font partie de cette catégorie et qui représentent la majorité des Chiites d’aujourd’hui (le groupe le plus majoritaire étant plus précisément le Chiisme Imamite Duodécimain qui voue la fidélité aux 12 imams) divergent quant au nombre d’imams et à la désignation des imams eux-mêmes. La catégorie des Rawâfid compte environ 24 sectes différentes, certaines plus égarées que les autres.
  3. Les Zaydites (az-Zaydiyya) : ils furent appelés ainsi car ils sont attachés à l’enseignement de l’imam Zayd ibn ‘Alî ibn al-Husayn (qu’Allâh Ta‘âlâ lui fasse miséricorde) qui refusait que ses partisans désavouent Abû Bakr et ‘Umar. Il acceptait donc le califat de ces deux grands compagnons, malgré qu’il est dit qu’il considérât ‘Alî supérieur. Il se révolta contre le régime Omeyyade et tomba en martyr dans cette voie. Les Zaydites, qui prétendent le suivre, sont divisés en 6 sectes et sont considérés comme les Chiites les plus proches du Sunnisme en comparaison aux autres groupes Chiites.

Principales croyances contraires au dogme sunnite :

  • Leur critique des compagnons qui va parfois jusqu’à les considérer mécréants et les maudire et jusqu’à insulter la Mère des croyants, notre mère ‘Aisha, l’épouse du Prophète ﷺ en l’accusant d’adultère.
  • Le refus d’accepter le califat des trois premiers califes.
  • La prétention de certains groupes que le Coran fut falsifié par les compagnons en retirant des versets ou sourates etc.
  • Le refus d’accepter les ahadith rapportés par la majorité des compagnons. Les Chiites ont donc dû trouver des textes pour construire leur doctrine et leur jurisprudence, c’est pourquoi ils ont eu recours à un très grand travail d’invention de ahadith.
  • Leur croyance n’est pas homogène car ils sont divisés en beaucoup de groupes mais elle est souvent un syncrétisme entre des dogmes Qadarites, Mutazilites voire des Mujassima (anthropomorphistes).
  • Il sont en désaccord avec des questions juridiques unanimement reconnus chez les sunnites des 4 écoles, ils acceptent donc, entre autres, le mariage temporaire (qu’ils recommandent même), l’essuyage sur les pieds au lieu de les laver lors de l’ablution, l’interdiction d’effectuer l’essuyage sur les chaussons (khuffayn) etc.
al-Mu‘tazila : Les Mutazilites

C’est un groupe dont le fondateur est Wâsil ibn ‘Atâ (131) qui s’est retiré de l’assemblée de al-Hasan al-Basrî (110). Eux-mêmes se surnomment « les gens de la justice et de l’unicité ».

Les principales « têtes » du Mutazilisme : ‘Amr ibn ‘Ubayd (144), Bishr ibn al-Mu‘tamir (210), an-Nazzhâm (231), Abu’l-Hudhayl al-‘Allâf (235), Abû ‘Alî al-Jubbâî (303) ainsi que son fils Abû Hâshim (321), al-Qâdî ‘Abdu’l-Jabbâr (415) etc…

Ils sont divisés en une vingtaine de groupes différents, qui parfois se déclarent mécréants les uns les autres. Quelques noms de groupes : al-Wâsiliyya, al-Hudhaliyya, an-Nazzhâmiyya etc…

Ils ont aussi influencé le chiisme. Puis les Mutazilites ont vécu leur déclin et ont presque disparus à partir du Vème siècle.

Principales croyances contraires au dogme sunnite :

  • Ils renient les attributs éternels d’Allâh Ta‘âlâ, ex : pour eux Allâh « sait » mais il ne peut pas lui être attribué la « science », Il « peut » mais il ne peut pas lui être attribué le « pouvoir ».
  • Ils disent qu’Allâh Ta‘âlâ ne sera pas vu dans l’Au-Delà et que cela est impossible, malgré tous les textes prouvant la vision.
  • Ils disent que la Parole d’Allâh Ta‘âlâ est créée.
  • Il disent que l’être humain créé ses propres actes choisis.
  • Ils disent qu’Allah Ta‘âlâ est obligé de créer le meilleur pour le serviteur, etc…
al-Jabriyya : Les Jabrites

Plus qu’un groupe, il s’agit plutôt d’une pensée, celle de dire que le destin d’Allâh Ta‘âlâ recouvre entièrement l’être humain et que celui-ci ne possède aucun libre-arbitre, il est donc obligé de faire ce qu’il fait. Il est comme une feuille qui bouge face au vent. Ils sont donc à l’opposé de la croyance des Mutazilites sur la question du destin et contredisent la doctrine sunnite de la responsabilité de l’être humain concernant ses actes volontaires.

al-Jahmiyya : Les Jahmites

C’est un groupe fondé par Jahm ibn Safwân (128).

Le groupe des Jahmites fait partie des Jabriyya, à savoir qu’ils nient le libre-arbitre.

Ils renient, comme les Mutazilites, certains des attributs éternels d’Allâh Ta‘âlâ. Aussi ils disent qu’Allâh Ta‘âlâ ne peux pas être qualifié d’un attribut qui est aussi utilisé concernant les créatures, c’est pourquoi ils renient par exemple qu’Allâh soit qualifié de « vivant » ou de « savant », mais ils acceptent qu’Il soit « créateur » ou « puissant » car ces attributs ne peuvent pas, selon eux, être utilisés pour les créatures. Etc…

al-Qadariyya : Les Qadarites

C’est un groupe dont le fondateur est Ma‘bad al-Juhanî (≈ 80) suivi de Ghaylân ad-Dimashqî (120).

Il s’agit de la pensée contraire de al-Jabriyya : ils disent qu’il n’y a pas de destin, Allâh Ta‘âlâ ne sait pas ce que va choisir le serviteur avant que celui-ci ne fasse son choix.

Les Mutazilites ont été influencés par cette pensée jusqu’à un certain niveau, c’est pourquoi ils ont souvent été considérés comme al-Qadariyya selon certains savants sunnites et ils sont nommés parfois directement par ce nom.

al-Hashawiyya : Les Hashwites

Ce sont ceux qui ne prennent que le sens littéral des textes et exagèrent dans le fait de qualifier Allâh Ta‘âlâ par les attributs qu’ils pensent y trouver. Ceci les mène à l’anthropomorphisme (attribuer à Allâh des caractéristiques humaines). On peut les séparer en plusieurs groupes :

  • al-Mushabbiha : ce sont ceux qui font ressembler Allâh Ta‘âlâ à ses créatures en lui donnant des attributs des créatures, sans pour autant lui attribuer un corps. Exemple : attribuer à Allâh Ta‘âlâ une descente véritable.
  • al-Mujassima : ce sont ceux qui vont un peu plus loin en attribuant un corps à Allâh Ta‘âlâ. Exemple : attribuer à Allâh Ta‘âlâ une jambe véritable.

Certains groupes chiites ont défendu ces idées. C’est le cas aussi de certains savants du hadith qui ont même prétendu suivre l’imam Ahmad ibn Hanbal à ce sujet.

Un des groupes de Mushabbiha les plus connu et qui a eu un certain succès est la secte al-Karrâmiyya fondée par Muhammad ibn Karrâm (256) qui prétendait qu’Allâh Ta‘âlâ est installé sur le Trône, qu’Il est physiquement dans la direction du « haut », qu’il est possible pour Allâh Ta‘âlâ de « bouger, changer, descendre » etc.

Le Wahhabisme, fondé au XVIII ème siècle et appelé communément Salafisme aujourd’hui, est amplement influencé par ces groupes anthropomorphistes dans la croyance.

al-Murji’a : Les Murjites

Ils disent qu’aucun pêché ne peut faire de mal si la personne a la foi et qu’elle ira directement au Paradis quoi qu’elle commette comme péché, tant qu’elle a la foi.

Ce groupe a disparu mais la pensée proche de celle des Murjites qui dit que le plus important étant la foi et la bonté du coeur, les obligations religieuses établies par la Loi ne sont pas essentielles et que l’on peut donc s’en affranchir car « c’est le coeur qui compte » existe toujours aujourd’hui chez certains Musulmans.

Attention : certains disent de l’Imam Abu Hanifa et ses suiveurs qu’ils sont des Murji’a, il ne s’agit pas dans ce cas du groupe cité ici, mais plutôt du fait de dire que celui qui commet un grand péché et meurt sans se repentir, sa situation est renvoyée à la Volonté d’Allâh Ta‘âlâ : s’Il le souhaite Il le pardonne et s’Il le souhaite Il le châtie. Ceci est totalement la croyance des Gens de la Sunna, il ne s’agit donc pas d’un irjâ/murjisme égaré.